Chapitre 1 : Le Théâtre « Tivoli » à Clisson au temps de Marguerite Lemot

Vers 1905, elle fait construire un théâtre surnommé le « Tivoli en souvenir de l’intérêt que portait son grand-père à l’architecture de cette ville italienne ; le nom de l’architecte n’est pas connu mais c’est l’entrepreneur clissonnais Félix RENAUD qui en assurera la maîtrise d’œuvre ; pas d’éléments connus non plus sur la durée de la construction.

Le théâtre se situe dans la partie haute de la rue des Cordeliers, au sommet du coteau de la Trinité et il est visible de la maison du jardinier de la Garenne. Ses façades sont appareillées en briques et l’aménagement intérieur du 1er niveau est constitué d’une scène, d’un parterre et d’un balcon ; la partie sud est réservée aux loges. En ce sens, Marguerite Lemot poursuit l’œuvre de son grand-père et de son père. Le théâtre s’inscrit en effet dans la typologie à l’italienne clissonnaise.

Comme l’a remarqué Étienne Merlaud, on y retrouve de nombreuses références antérieures dans sa composition : pilastres et chapiteaux de chantignoles à la maison du jardinier de la Garenne-Lemot, (1811-1812), à la salle d’asile (Clisson, 1853-1854), aux communs et à l’orangerie de la Noé de Bel-air (Vallet, 1830), demi-lune en pignon à la maison du jardinier et au moulin de Persimon (Gétigné, 1859-1863), anses de panier au château de l’Oiselinière (Gorges, 1835) et aux communs de la Noé de Bel-air, et denticules au couronnement du colombier de la maison du jardinier et au château de l’Oiselinière.

Le théâtre de Marguerite Lemot peut donc être considéré comme le dernier bâtiment d’importance construit dans le mouvement de reconstruction de Clisson selon le modèle rustique toscan.

Par ailleurs, Marguerite Lemot s’affirme comme une philanthrope. Déjà en 1903, elle a proposé de construire à ses frais un réfectoire pour la cantine de l’école publique des filles, située en contre-bas du théâtre dans la rue des Cordeliers. Cette école a ouvert en 1885 avec soixante-dix élèves ; le bâtiment a été construit de 1869 à 1872 (et agrandi de 1921 à 1926) dans le style local, et il est organisé autour d’une cour. La construction du théâtre s’inscrit donc à la suite de cette première initiative.

A une époque où il n’y a ni cinéma (tel que aujourd’hui), ni télévision, le théâtre et le chant sont les grands loisirs de l’époque. Au tournant du siècle, certains réformateurs plaident pour un théâtre populaire et posent ainsi les premiers jalons d’une politique culturelle qui sera vraiment mise en œuvre dans l’Entre-deux-guerres. Marguerite Lemot n’est pas pour autant à rapprocher de ceux qui œuvrent à la création de théâtres du peuple dans les années 1900 dans la lignée d’un Maurice Pottecher et des idées de Romain Rolland. Elle fréquentait en effet des milieux plutôt conservateurs, peu favorables aux idées socialisantes. Il n’en demeure pas moins que la construction de théâtres privés était dans l’air du temps et que celui de Marguerite Lemot pouvait accueillir un large public.

Cette dernière a également pu s’inscrire dans la lignée de François Cacault, qui avait rêvé d’un musée-école à Clisson au tout début du XIXe siècle, et de son grand-père François Frédéric Lemot, qui avait voulu donner à Clisson un air de la ville de Tivoli en Italie. Le théâtre aurait été inauguré le 28 juin 1914, jour de l’assassinat de l’archiduc d’Autriche-Hongrie à Sarajevo, peu avant le déclenchement de la première guerre mondiale.

Nous n’avons pas d’informations précises sur les spectacles qui y sont donnés au temps de Marguerite Lemot. Aurélie Bigou (cf page 6 de son mémoire) relate que, « de mémoire d’anciens Clissonnais, Marguerite Antoinette Lemot invitait les jeunes filles à venir jouer dans son théâtre. On dit même qu’elle offrait des robes de mariée aux jeunes filles qui participaient à la concrétisation de sa passion : le théâtre.

Dans un article paru en 1963, Alfred Gernoux laisse à penser que ce centre culturel connut un certain succès. Sans citer la moindre source, il évoque des artistes de théâtre ayant contribué à la renommée de Clisson à travers les spectacles, écrivant : pièces théâtrales, musiques, chants, fêtes historiques trouvèrent là un foyer de prédilection. Marguerite Lemot donna dans son théâtre des représentations qu’elle animait elle-même.

Amatrice de chant lyrique, elle-même chanteuse à l’occasion, elle donnait des cours de musique. Auguste Barré père, né au Pallet, grand prix du Conservatoire, excellent baryton, enthousiasmait les foules ; le fils Félix Barré (1878-1940), membre de l’Opéra-Comique, revient au pays nantais, protégé par Madame Pradier. Elle fut mécène de Maurice Caillé, pianiste ; elle avait constitué une riche bibliothèque aux Cordeliers ; elle fit de Clisson en son temps un petit Bayreuth. Félix Barré était effectivement un chanteur connu et il a été portraituré par Jacques Dillon (1875-1963) en 1913 (New York, The Metropolitan Museum of Art  & MoMa de Marseille ). 

Le 6 mai 1924, à l’âge de 76 ans, ses deux enfants étant décédés en bas-âge, Mme LEMOT organise sa succession. Dans son testament olographe du 4 septembre 1924 reçu par Me Pasquier à Clisson, Marguerite Lemot désigne Maurice André Joseph Lemot, fils de son frère Olivier, comme légataire. A la mort de Marguerite en avril 1925, ce dernier hérite des biens de sa tante, mis à part le Tivoli qu’elle lègue à ses « excellents amis M. et Mme Mandrin »

A la suite de son décès le 13 avril 1925, les époux MANDRIN (Oscar et Marie) deviennent propriétaires du Tivoli.

Chronologie récapitulative de la vie de Marguerite Lemot 1848 • 24 mai / Naissance de Marguerite Antoinette Lemot à Gétigné. Ses parents sont Barthelemy-Frédéric Olivier Lemot (30 novembre 1810, Paris – 13 juillet 1883, Gétigné) et Augustine Elisabeth Goimbault et se sont mariés le 1er juillet 1847 à Paris. 1881 • 8 mai / Barthelemy Frédéric Olivier Lemot démissionne de son mandat de maire de Clisson (Pierre Bonnet, p. 336). Il a été conseiller général de Loire-Inférieure de 1852 à 1880 et maire de Clisson de 1851 à 1865 puis de 1878 à 1881. • 21 décembre / Marguerite Lemot se marie à Georges Élie Pradier (19 janvier 1843, Lorient – 27 avril 1912, Paris) à Paris 6e. 1883 • 13 juillet / Mort de Barthelemy-Frédéric Olivier Lemot à Gétigné. 1924 • Testament olographe de Marguerite Lemot, Clisson, 4 septembre 1924, auprès de Me Pasquier. 1925 • 13 avril / Mort de Marguerite Lemot à l’âge de77 ans.

Chapitre 2 : Le Théâtre «Tivoli » après le décès de Marguerite Lemot jusqu’à son incendie

A la suite de son décès le 13 avril 1925, les époux MANDRIN légataires du Tivoli le vendent avec la propriété le 24 octobre 1928 à Alexis-Félix GUERINEAU, industriel et maire de Cholet. Sa fille, Madeleine Guérineau, son héritière, se marie avec le sous-préfet Charles Morellet et l'entreprise devient Guérineau-Morellet et Bébé Confort (voitures d'enfants)

Les Guérineau-Morellet disposeront du théâtre pendant 6 ans. (Pour mémoire, François MORELLET, leur fils est un artiste contemporain, peintre, graveur et sculpteur, né en 1926 à Cholet. Il est considéré comme l’un des acteurs majeurs de l’abstraction géométrique de la seconde moitié du XXème siècle et un précurseur du minimalisme)

Suite au décès en 1932 de M.GUERINEAU, sa veuve Louise Victorine MICHOT vend le 28 juillet 1934 à la ville de Clisson un bâtiment « à usage de théâtre » et un terrain de 779 m² après le lancement par le Maire d’une enquête administrative et une consultation de la population: « Le bâtiment consiste en une salle de spectacle avec la scène ; au sous-sol, plusieurs pièces servant de chambres de décors et accessoires et d’une remise. Le théâtre et ses dépendances sont construits en bons matériaux, avec mortier de chaux et couverts de tuiles. Les murs, la charpente, la couverture et les ouvertures sont en bon état ; le plancher de la scène et surtout celui de la salle sont en mauvais état et nécessiteront une réfection » Une nouvelle vie commence pour le bâtiment qui durera 11 ans. Il est stipulé le 30 juin que : « les écoles publiques ou privées peuvent l’utiliser pour les manifestations scolaires – on peut y organiser des manifestations artistiques, professionnelles ou économiques - les manifestations politiques et religieuses sont interdites ».

De 1934 à l’après-guerre 1945, la vie du théâtre nous est connue par d’anciens clissonnais dont Marcel COUTEAU (qui a 16 ans en 1941). Il nous explique " que les 2 propriétés étaient demeurées sans séparations, et qu’une large allée contournant le bâtiment donnait l’accès à l’ex maison de Marguerite LEMOT. (Maison Morellet). Cette première version de la salle était sans balcon et les rangées de fauteuils étaient disposées en courbes, laissant des loges aux angles-arrières.

En 1939, des travaux urgents sont à envisager pour préserver le bâtiment, notamment la toiture** 

**Dossier « Le Tivoli - Synthèse des grandes étapes » de Nicole PETIT de l’association Clisson Histoire et Patrimoine de Clisson (https://www.clissonhistoireetpatrimoine.fr)

Suite à la déclaration de guerre, la grande maison dite Morellet est réquisitionnée par l’armée, pour y loger le commandement d’une compagnie de Spahis réfugiés à Clisson. Le Tivoli est utilisé pour l’intendance et le stockage du matériel et des tenues et vêtements des spahis.

A partir de Juin 1940, les occupants allemands viennent occuper Clisson dont le commandement s’installe dans la villa dite Morellet. Le Tivoli est laissé ouvert et les Clissonnais pillent matériel, capes et culottes bouffantes laissés par les spahis, que l’on peut encore retrouver dans des familles Clissonnaises "

Toujours selon Marcel Couteau," une troupe ayant combattu à Stalingrad est cantonnée à Clisson en 1942 pour son repos. Elle se réapproprie le bâtiment pour y faire des fêtes ". Lors des bombardements d’août 1944, et suite à son occupation, le Tivoli est fortement endommagé, et à la fin de la guerre, en 1945, la municipalité récupère le Tivoli.

En janvier 1947, elle le restructure en salle de spectacles et de cinéma avec l’architecte Maëder de Nantes. Les 3 modifications les plus importantes sont :

* Création d’un balcon pour augmenter la jauge du cinéma et d’une cabine de projection

* Insertion d’une nouvelle construction entre l’ancien module d’entrée et le bâtiment principal, éclairée par trois ouvertures jumelées. Ce nouveau module comprend des commodités pour les spectateurs et une cage d’escalier pour desservir la tribune.

* La salle est équipée de fauteuils. A l’extérieur, la séparation physique des deux propriétés – Morellet et Tivoli - se concrétise : Les Guérineau-Morellet créent leur propre entrée avec la création en mitoyenneté d’un porche d’entrée, d’une porterie et divers autres ajouts, dans un style «italien clissonnais », sans malheureusement, l’utilisation de la brique chantignole. Par contre, dans la restructuration du Tivoli, l’architecte MAEDER a fait fabriquer spécialement des briques d’aspect proche de celle de l’ancienne construction. 

Le 17 octobre 1948, la gestion du cinéma est confiée à la Société Transactions Internationales de Paris avec un cahier des charges stipulant 256 places d’orchestre et 151 places en balcon ainsi que 8 en loges soit une capacité totale de 415 places – (chiffres inexpliqués à ce jour) – Le Tivoli prend alors le nom de « Tivoli-cinéma » Il y est convenu que le concessionnaire devra laisser la salle à disposition des sociétés locales, les deuxièmes dimanches des mois d’octobre, décembre, février et avril. Ainsi, les fêtes des écoles publiques se feront dans la salle du Tivoli. Marcel COUTEAU se souvient que le film projeté pour l’inauguration du cinéma était la « Symphonie Pastorale », de Jean Delannoy, avec Michèle Morgan.

En janvier 1952, après la cessation d’activité de la société parisienne, la reprise de la gestion est assurée par la « Société d’exploitation du cinéma Tivoli de Clisson » avec 2 nouveaux associés : Félix DENIAU exploitant de cinéma et Alice Jeanne PATIER. En 1959, après 11 ans d‘exploitation confiée à des concessionnaires, la ville reprend la gestion pour 14 ans jusqu’en 1973. 

En 1961, l’évènement marquant est l’invitation par François MORELLET de ses amis Les Frères Jacques (célèbre quator vocal combinant le chant et le mime) à donner un concert dans le Tivoli au bénéfice des sinistrés de l’inondation ayant frappé Clisson en 1960.

Pour mémoire, à partir de 1968 le Conseil Général fait l’acquisition du domaine de La Garenne LEMOT et des ruines du Château pour les sauvegarder. En 1972, la commune vend le Tivoli à Maurice MANDRIN & Madame LAVENU, exploitants en salles de cinéma pour la programmation de films érotiques. Puis le cinéma n’étant plus rentable, il est mis en vente. La ville de Clisson procède à son rachat en 1986 pour une utilisation en salle des fêtes et spectacles du vivant, à disposition des associations locales et des écoles.

Mais la salle n’est pas aux normes (ERP : Etablissements Recevant du Public) de sécurité et d’accessibilité. Suite à ce constat, une étude est commandée en 1988 à l’architecte J.THIBAUD de Nantes pour le mettre aux normes ; celles-ci aboutissent à des aménagements ramenant la jauge du bâtiment à 156 places en orchestre + 101 places en balcon soit 257 places au total Il ne sera pas donné de suite favorable à ce projet. Les appartements du rez-de-chaussée sont cependant prêtés à la Société Musicale pour leur administration et aux Amis du Château pour le stockage des costumes.

En l’absence de décision de travaux, la Commission de Sécurité ordonne la fermeture du bâtiment en 1993 - Le Tivoli est ensuite laissé à l'abandon. Deux nouvelles études sont pourtant menées pour une réhabilitation du Tivoli en salle de spectacle des arts du vivant :

* En 1999, par Aurélie BIGOU, étudiante en développement culturel qui estime la viabilité d’un projet culturel de salle de spectacles en explorant les programmations et activités pouvant être envisagées.

* en 2000 par Etienne MERLAUD dans le cadre de son mémoire de fin d'études de l’école d'architecture de Nantes avec un groupe de travail pluri disciplinaire et Bernard RIALLAND, adjoint à la Culture de la ville de Clisson. Avec le concours du cabinet d’architecture Forma 6 de Nantes, et après avoir étudié toutes les caractéristiques dimensionnelles et structurelles du Tivoli, un possible agrandissement de l’entrée par son intégration dans une superstructure en verre est esquissé. Comme pour l’étude de l’architecte J.Thibaud, il ne sera pas donné de suite favorable à ce projet de réaménagement du Tivoli et de sa mise en valeur.

Ce n’est que quelques années plus tard, en 2019, que l’aménagement de la Porte Palzaise sera réalisé mais dans une version très différente de celle imaginée dans le cadre de l’étude E.Merlaud ci-dessus. Le bâtiment toujours à l’abandon est occupé illégalement et le 6 Juillet 2008 un incendie détruit la toiture et la totalité des fauteuils et des aménagements intérieurs. L'assurance verse 444 046 € de dédommagement à la Ville mais cette somme ne sera pas cantonnée pour la toiture du Tivoli – L’option d’aménagement de la médiathèque dans le Tivoli n’est pas retenue – La médiathèque sera finalement construite en lieu et place du Cercle Olivier de Clisson en centre ville et le cinéma sur la zone du Champ de foire. Des travaux sont néanmoins entrepris par la Ville pour étancher les têtes de mur avec un mortier et les protéger des infiltrations.